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appart en Chine
26 mars 2002

L’ordinateur est sur un tabouret posé sur la


L’ordinateur est sur un tabouret posé sur la table j’écris debout.
Le soleil teinte d’orangé la désolation de l’hiver chatouille mes bleus je me retiens de rire afin qu’il n’ait aucune hésitation à se laisser tomber dans la nuit froide.


Les nuages troubles s’alourdissent de teintes noirâtres un coup de sifflet s’évanouit dans la grisaille et la locomotive Re 460 se prend 15000 Volts entre les reins.
Assise sur la banquette en face de moi ma voisine a les cheveux courts frisés blonds, une fine frange tombe sur des lunettes cerclées d’argent. De petite taille elle est habillée comme la tante originale et gentille celle qui fait rire son monde et qui n'est toujours pas mariée : une couturière qui aurait perdu son métier. Je l’écoute poliment, patiemment.


Le paysage derrière la vitre n’est qu’à dix minutes de la ville et j’ai déjà l’impression de rouler depuis une heure ! Elle parle de safari en Afrique. Je m’évade dans la savane nu et heureux au milieu des bêtes sauvages.
Un fracas me ramène brutalement dans le compartiment ! Nous croisons un autre train ? Non. C’est le tonnerre, enfin libéré, il gronde de toutes ses forces des bourrasques de pluie lacèrent mon reflet sur la fenêtre enténébrée. La voix de m’a voisine s’est suspendue au grésillement du haut-parleur qui annonce que plus en avant l’orage a arraché la ligne de contact le train va devoir s’arrêter dans une gare de campagne.

Le quai est parsemé de rameaux arrachés un vent vigoureux brasse l’air acidulé et pousse les voyageurs désarçonnés dans une salle d’attente.
Les lignes à haute tension sifflent sous le ciel noir-violet les grondements secs du tonnerre roulent jusqu’aux fermes des vallées du Haut Jura.
Appuyé contre un pylône je reste seul spectateur du vent qui souffle sur mes blessures et qui rafraîchit mon courage. Avec les éclairs et les explosions j’entonne un chant guerrier, apaisant. Un employé de la gare me fait des signes : le spectacle n’est pas assuré ! Il me parle en suisse-allemand et me montre la salle d’attente. Je préfère faire quelques pas au dehors de la gare.


Ni dans ma ville ni dans mon assiette je me réfugie au café. Sur la nappe rugueuse je me repasse des images d'enfance : le jardin le ciel bleu le chien la terre sur mes habits du dimanche. Les portraits de mes amies se superposent sur les colères de ma mère des os craquent, des cœurs se brisent. Un relent de bière me retient de partir à la guerre ce n’est pas aujourd'hui que je descendrai autre chose que de l'alcool !
Mes pensées glissent sur des chemins en lames de rasoir et je patauge dans le mythe de l'étranger au regard sombre. Je veux savoir me souvenir où je dois aller ? Qu'est-ce qu'un humain qui se regarde dans les yeux ? Quel chemin me sépare de... ? Combien de temps avant d'être à la hauteur ?
Je rêve de montagne, l’air y est limpide c'est de l'intelligence pure le cœur la comprend mais ma raison s'effraie et esquive cette retraite solitaire cette odeur d’eau de Cologne mâtinée de transpiration cette salle de bains nue sans parfum de femme dans les placards.

Je devrais me mettre à écrire sûr que ça me ferait du bien.



Une voiture a glissé dans le ravin. Ma mère m’a expliqué que le conducteur avait été ébloui par des scintillements reflets de verre ou de métal qui dessinaient dans les arbres des idéogrammes chinois.



Les chemises des hommes et les fenêtres du minibus sont ouvertes. Les suspensions torturées par les routes de campagne grincent au rythme de la musique techno à chaque nid de poule nous sommes une trentaine à tressaillir en cœur.
L’horizon est dominé par l’imposant massif de la Montagne Noire, d’autres monts plus modestes sont disséminés selon les caprices de la Nature et des hommes qui y creusent des carrières des tranchées et des tunnels. Leurs cultures et les tombes de ceux qui y ont travaillé colonisent ces mamelons minéraux où, entre une fine couche de terre et un ciel sans pluie, broussaille une végétation sauvage.
Un vieillard fume la cigarette que lui a offerte le chauffeur. Ma voisine de siège a jupe et jupon remonté sur le haut d’une paire de jambe en ivoire derrière mes lunettes de soleil j’accroche mon regard à la bouteille de bière que je triture entre mes mains.

Le rythme des pas d’une mule ses clochettes cliquettent entre les blocs de six étages. Elle hale une charrette sur la petite route qui se reflète dans ses yeux mouillés.
Autour des immeubles il n’y a pas de mur d’enceinte pas de gardien.
Les hommes que je croise sont grands et fiers ils me dévisagent d’un air goguenard. Les femmes ont le corps droit souple et ferme, elles baissent les yeux sur des dentelles en polyamide qui boudinent le contour de leurs sous-vêtements.

Un portail brinquebalant ouvre sur un verger les fruits étincellent de santé. Je me faufile entre le feuillage qui ruisselle vers la terre cuivrée. Etourdi par les réverbérations et les odeurs je m’allonge sous un pêcher l’épaisse frondaison filtre le soleil d’été. Bercé par le vrombissement des libellules j’égrène des poignées de terre chaude entre mes doigts.



Ecrasée par l’été une ville plate une ville de passage où je joue mon jeu.
Toujours à la recherche d’un quotidien et toujours piégé par le mantra des insectes qui s’enchaînent à chanter l’épopée de la reine des abeilles.
Son parfum, carbone 14, estime mes 40 ans qui ne peuvent plus décoller. Englué dans la gelée royale je m’évade dans l’envie de quitter cette ville. 
J’imagine son cœur blessé par le destin qui m’y a uni je m’abreuve à l’encre des mots qui couleront sur ses joues.



Sur les trottoirs ruisselants les passants aux parapluies colorés se dissipent dans le crachin les ampoules des décorations s’embuent dans les sapins sombres et les immeubles se confondent avec le gris du ciel.
Dans les vitrines des marchands de jouets des trains électriques sillonnent des paysages de plastic ensoleillés les voyageurs ont des sourires d’anges ; temps de l’Avent.

A l’entrée du passage de la gare tassé sur un banc en béton je bois une canette de bière. J'ai raté mon train et me distrais en regardant le manège des drogués c'est leur lieu de ralliement leur magasin volant.
Mon regard s’accroche aux yeux trop maquillés d’une fille qui disparaît dans la galerie marchande. Il pleut des guirlandes de Noël.
Je ferais mieux de m’en aller. Il y a des bus pour retourner dans mon quartier, ce soir je reste à Zürich, j'irai voir maman demain.

Le bus bleu traverse la pluie à grands coups d’essuie-glace. Sans effort le temps gris persiste, sans surprise. Sur la banquette un vieux paysan exilé depuis trop longtemps retire rageusement le pan de son pardessus sur lequel je m’étais assis. Son mouvement a manqué de cogner les genoux Nylon de la beauté noire en face de moi. Il grommelle sans lui prêter attention elle me renvoie un regard vide.
Je ferme les yeux et la fille du sous voie m'emmène mon regard inversé se noie dans son Rimmel dilué par l’eau du ciel.



Dans le flou de mes pensées les caractères chinois se voilent ils se fondent dans un décor ordinaire et ne m’intriguent pas plus que si j’étais né ici !



La maman de Heihei a amené un petit poussin à la maison pour que le chat s’amuse !

Le poussin n’en peut plus de piauler et le chat est agacé. Coup de patte de temps en temps. Il n’a jamais léché le sang d’un animal vivant et ne fait pas le rapprochement avec la pâtée qu’il ingurgite tous les jours. Pour le moment le spectacle est raté. La mère pose le poussin sur le dos du chat qui s’en va.

Innocent, je demande : «de quelle couleur sera la poule ? »

-« Blanche. »
Ma est d’accord avec moi ; une poule ce n’est pas très joli pas comme un poussin.

Au jeu du plus sadique c’est le poussin qui a gagné; il n’est pas encore 5 heures du matin qu’il me réveille avec des piaillements d’enfant gâté. J’essaye de le faire taire en lui donnant à manger. Aucun succès ! Sous un carton pour atténuer ses piaillements stridents il crie encore plus fort.
Impossible de dormir.

D’un geste rageur, je l’arrache du sol et comprends que je peux régler son cas en une seule contraction de mon poing.

Cette petite forme en peluche jaune et chaude me met hors de moi son sort est arrêté.

Je descends les étages et me dirige vers la seule échoppe ouverte de si bonne heure. Avec des gestes de somnambules un jeune couple y prépare des petits pains à la vapeur.

Ils ont à peine vingt ans, les traits embrouillés du petit matin et un peu de farine sur les joues. Elle me voit arriver, sourit, la vapeur s’évanouit dans la brume.
Sans un mot je montre le poussin elle ouvre ses mains je retourne me coucher.


Septembre tempère mon réveil les nuits sont plus douces les matins plus frais. Le chat miaule sur le parquet qui craque, sous les caresses franches du vent marin l’immeuble frémit.
La cafetière roucoule et la pâtée au poisson de minou est prête Huanghuang dort encore le soleil n’a pas encore terminé l’ascension de la grande montagne noire je ferme une fenêtre pour éviter les courants d’air et m’assieds sur le divan pour boire mon café et fumer.

Mes cigarettes, cendres de nuit, écrasées dans le cendrier, je vérifie mon cartable les livres et les préparations de cours sont à leur place je tâte les poches de ma chemise pour y sentir les cigarettes et le briquet, dans les poches de mon pantalon l’argent et les clés de l’appartement.
J’ai encore le temps de choisir trois mini disques je vérifie la batterie de l’appareil en buvant une dernière goutte de café déjà froid.
Le vent me claque la porte au dos.
Dehors le jour se dégrise et je me réveille aux contingences : une autre journée un autre trajet. A la station de bus je me fraie un chemin entre les voyageurs les balayeurs les vendeurs à la sauvette et les rabatteurs qui me proposent des tickets pour les quatre points cardinaux. Une petite femme de quarante ans la blouse aussi rouge que le visage me tire par la manche elle me montre un bus sans même savoir où je vais, ses collègues éclatent de rire quand je me dégage d’un mouvement brusque.
Comme un chien dans un jeu de quilles l’amertume me rend hargneux mais je ravale ma collection de jurons français chinois et anglais il n’y a que la ruse et la patience qui permette de s’échapper ! Je continue d’avancer avec un sourire résigné sur les lèvres. Derrière mon dos, la femme en rouge harcèle d’autres personnes.
J’avance tête baissée en feignant d’ignorer les œufs le coca les journaux les villes et les villages que l’on me propose.
Mes quelques notions de chinois me permettent de repérer la file des bus en partance pour la Grande Montagne Solitaire.

Devant les bus il y a une autre catégorie de rabatteurs plus indolents ils font partie de l’équipage et c’est sur la route qu’ils retrouvent leur énergie. Ils sont tous d’accord pour dire que c’est leur bus qui arrivera le premier affirmation que le chauffeur soulignent d’un coup de gaz, au point mort.
 
Pour couper court aux questions éventuelles des trois autres passagers je m’écoute un peu de musique écouteurs sur les oreilles. Ils me regardent avec la curiosité d’étudiants disciplinés s’apprêtant à disséquer une grenouille.
Le plafond du bus est plaqué de PVC fleuri. Depuis mon siège défoncé je ne parviens pas à distinguer si l’amulette qui pendouille au milieu du pare-brise est l’image d’un Dieu le profile de Mao ou alors un voilier doré qu’accompagnent quelques mots de bonne augure.
Le chauffeur avachi sur le volant donne encore un coup d’accélérateur le départ est imminent peut-être dans cinq minutes. Son second, cheveux hérisson et survêtement Nike, tourne toujours autour du bus à l’affût de nouveaux clients. Je regarde sans compassion le harcèlement que subissent les passagers potentiels.

Cliquetis métallique de la première vitesse moteur débrayé. Les vibrations du moteur traversent tout des pneus au toit en passant par les passagers. Le jeune homme à la coupe hérisson saute dans le bus en marche. Il est debout dans l’embrasure de la portière et continue d’interpeller tout être susceptible de se déplacer en transport commun il n’a qu’un mot à la bouche : Dagushan ! Dagushan ! (La Grande Montagne Solitaire.)

Nos futurs compagnons de voyage sont disséminés le long de la route, le second sert de vigie au chauffeur qui roule le plus vite possible entre deux cris d’alerte de son assistant, à peine le client a-t-il posé le pied sur le marchepied que le bus repart. Départs en trombe et freinages d’urgence font oublier que la vitesse moyenne sur le trajet est d’à peine trente kilomètres par heure !

Quand nous longeons les maisons basses qui se perdent dans les roseaux du bord de mer le soleil est encore fripé de brume matinale. De l’autre côté de la route le chapelet de bâtiments industriels tire sur sa fin, le dernier, une gigantesque raffinerie de pétrole, est séparé de l’école où je me rends par la Grande Montagne Solitaire.
Le bus gravit sans effort cette petite colline qui domine un vallon ouvert sur la mer.
L’odeur d’hydrocarbure cède à celle, intense et douceâtre des coquillages que des femmes et quelques enfants écarquillent à longueur de journée.
Sur des gravats de coquilles brisées deux rangées de travailleurs se font face, posés sur de minuscules tabourets ces corps courbés dont on aperçoit à peine l’anorak sont séparés par une paire de bottes dépareillée. Grises engelures au bout des doigts. Quelques ampoules suspendues au-dessus des têtes témoignent de la longueur des journées.

Quand je passe devant ces petites usines les femmes ne me regardent pas et si elles me voient leur cerveau engourdi ne lance pas le traditionnel « hello ! » que j’entends partout où je vais !


Les crustacés de la mer Jaune répondent à mes clins d’œil par des sourires à demi-entendu. Ma lassitude assume son impuissance, j’en ramasse les débris irisés.



J’ai longtemps attendu de voir la barque du pêcheur rentrer au port. Aujourd’hui j’en entends le bruit du moteur mais l’image est déjà depuis longtemps sacrifiée.
L’automne est derrière moi le vent d’hiver donne déjà des frissons.
Comme se penchent les rochers que la marée n’atteint pas, le pêcheur pose pied à terre.
Sa femme l’attend. Le bateau et les cordages.

Je retraverse les lieux communs pour m’enfoncer un peu plus loin dans la nuit et le froid, où il n’y a âme qui vive. La nuit n’a pas de bout, sinon

la mort comme une aurore après une nuit sans sommeil.



Au-dessus des déchirures minérales les premières étoiles papillotent dans le ciel bleu liquide. C’est l’heure où les sapins deviennent violets.  L’orange du soleil fatigué cherche à s’imprimer où il trouve encore un profil familier ; il n’y a plus que les pics, solitaires et lointains qui lui disent le crépuscule. Les étoiles, qui envident l’obscurité ébruitent quelques notes d’espoir mais le dictionnaire intergalactique n’est pas encore sorti en livre de poche.
Le douanier suisse me fait signe de ne rien déclarer. Dans le hall de la gare je retrouve une ancienne camarade de classe qui n’a pas fait de manière à l’idée de mon retour.

Je suis revenu sur mes terres pour y enfouir mon père, lui qui m’a donné le goût le besoin du voyage. La cérémonie aura lieu dans le Jura et j’essayerai d’en profiter pour m’imprégner de cet air solide. En attendant je me glisse sous l’aile de mon amie qui m’entraîne dans un hôtel de passage. La nuit est douce.

Pour mon retour j’ai laissé les bagages trop lourds au port franc. Pour ne pas soupirer j’ai arrêté de respirer et n’ai fait qu’approuver. Mes sens et mon âme se sont contentés des albums de photos ces plats fades et froids que l’on se sert ,fesses et genoux serrés, après un dessert trop sucré.  Sans surprise j’ai vu les images policées la panoplie habituelle pour maintenir le masque.

Je repasse la frontière sans rien à déclarer que mon mal de ventre le brouillard dégouline depuis les crêtes, dans les replis montagneux des croix blanches me disent l’aurore, ailleurs.



Pour un temps le temps n’a plus prise, il glisse fluide sur ma peau. Je nage sous l’eau les yeux ouverts je traverse un banc de méduses douces et cotonneuses. Mon cœur bat la chamade mes poumons se magnétisent encore une brasse, encore une brasse. J’émerge comme une torpille dans la lumière claire.
J’ai nagé droit devant vers le lointain imperceptible. Quelle est la distance qui me sépare de la terre ? Ai-je été emporté par un contre-courant ? Ai-je pataugé dans les vagues qui échouent les méduses mortes ?
A fleur de l’étendue salée je retourne pour la première fois la tête vers le bord de mer. Mon goût pour la performance est satisfait. Je retourne vers le rivage.

Le soleil et ses reflets ont ébloui ma brasse coulée je ne reconnais plus le bord de mer n’y retrouve plus mes affaires. En déséquilibre j’avance sur les galets qui roulent sous mes pieds.



Craché comme un noyau indigeste par le métro j’émerge de la station « Aéroport » le poinçonneur de billet automatique ne me regarde même pas.
Elle je retourne chez elle, Chinoise, Africaine ou Bretonne, ce sera toujours elle qui ramassera mon spleen à la petite cuillère moi je m’étendrai sur le divan, en mâle fier de mon ailleurs incommensurable incompréhensible et inutile.

Assis sur un chariot de bagage, musique, cigarette, alcool et cacahuètes j’attends tranquillement l’heure de l’embarquement, les valises ont ça de bon qu’on peut s’appuyer dessus. Le ciel d’après midi s’est dégagé sur un soleil d’hiver déjà parallèle. Mon billet d’avion me sert de sous-main j’écris et devant la porte de l’aéroport entre deux échangeurs routiers, je profite du soleil, dernier soleil européen adieu veau vache cochon. Je partage mes dernières cacahuètes avec les moineaux.

Vol de nuit ivresse à plus de mille à l’heure.
Les lumières des villes s’essaient au dialogue avec la voie lactée et devant cette touchante rivalité notre sourire narquoise.
Cette fatigue qui n’aura jamais sommeil et ces mots que je couche sur ton écran m’écoule sur un autre continent. Au sortir de l’aéroport les gens accepteront les cigarettes que je leurs tendrai je réentendrai le mot « étranger » derrière mon dos on me laissera ma place !



Le rideau de perle s’agite et cliquète au rythme des vagues. Entre l’hôtel et la petite route du bord de mer un marronnier déploie des branches tordues d’arthrite. De l’autre côté de la route le granulé des galets se dorent au soleil d’automne.
L’hôtel est presque vide dans cette suite de couloirs blancs j’ai l’impression d’être le pensionnaire unique d’une maison de santé d’un asile isolé. Mon corps est figé comme un vieux bloc de paraffine et mon visage cireux reflète un cerveau efficace dans les tâches domestiques mais qui s’enraie dans les moments où je pourrais et devrais le cultiver. Je dois trouver de nouvelles non-réponses à mes questions existentielles. La nihiliste insolence, devenue trop lourde, n’est plus de saison j’ai perdu le feu sacré et mes aventures patinent tellement loin des bateaux ivres !

La mer est un écran vide souligné par quelques barques qui ne s’en vont au large que pour ramener, laborieusement, un peu de calme et des fruits de mer. Les rêves de grand large m’évitaient d’éprouver de reconnaître et d’accepter la comparaison avec le réel. Au-delà de l’immensité d’eau l’horizon épouse l’arrondi de la terre !

Je marche sur la plage un pied dans la réalité et l’autre dans la mer. Largué en des confins incertains je suis un myope qui préfère la vision sans lunettes.

Au restaurant de la plage les huîtres ont le goût et l’odeur de la mer je prends un bain sans me mouiller je me risque sans m’éloigner j’épuise les plaisirs et sort de l’eau à sec.
Je suis à l’hôtel pour me désempêtrer de ce flou figé et rassurant que je m’accorde comme une vision poétique.
Les vagues qui rentrent trop tard le soir ont la crête blanche en forme de pirogue renversée.



Les enseignes publicitaires m’apparaissent en chinois ! Je porte des lunettes ? Je vois clair ? Drôle de sensation.
Comme une pute qui se déshabille, un pan de réel s’est dévoilé sans sensualité sans manières.
Ces pancartes en chinois dont je me forçais à déconsidérer l’exotisme, dont je me glorifiais de m’apercevoir que je n’en apercevais pas l’altérité, m’apparaissent soudain, dans la perspective d’une rue, le long de l’exacte partie de mon cerveau qui leur est consacré et qui me donne une identité : Suisse et chrétien.
Cette identité cristallisée dans mon esprit aussi profonde soit-elle ne me lance que des reflets éphémères je n’imprime pas. Le Suisse, le Même, ne trouve pas sa place dans mon miroir il ne peut suivre le mouvement dans lequel je suis inscrit.
Je suis poussé vers l’Autre par une attirance narcissique ! Dans ses yeux je vois la route sans fin que mon orgueil veut accomplir, en cela l’Autre est mon miroir. Nous nous regardons comme ces chiens de faïence, serre-livres d’une encyclopédie qui nous sépare et nous rapproche en même temps.
Le Même c’est mon intellect au point mort, c’est l’Autre qui me donne un sens, qui me révèle. Le sens, comme une spirale tournée vers l’intérieur s’évanouit en lui-même : c’est une mystique. Le sens intelligible, terrestre, s’étend comme une spirale ouverte vers l’extérieur.

Ayant besoin de l’Autre je ne peux que reconnaître que je ne le suis pas, alors qui suis-je ? Au niveau culturel mes semblables sont les chrétiens helvétiques mais de fait c’est en Suisse que mon être est le plus lourd à porter : sous le drapeau à croix blanche nous sommes tous différents mais il ne faut pas le dire et ce silence m’épuise.
Quand le Même se définit par une allégeance à la pensée dominante alors j’en suis un autre. Je me reconnais dans l’autre, notre distinction marquée cette franche altérité est la même et nous réunit. Nous sommes identiques dans la différence.

Le Même c’est moi ?! Constation (culturelle ou mystique) salutaire qui me permet d’avancer vers l’Autre la conscience claire et reconnaissante. Helvétique chrétien et amoureux je me projette dans l’Autre et quand l’Autre devient familier je refais mes bagages.

Progresser est-ce devenir l’Autre ? En tous les cas c’est le connaître et accaparer ses connaissances. Le devenir se fait au contact de l’Autre du différent. L’Autre est la matière première pour cultiver épanouir le Même qui ne peut que s’évanouir.
L’Autre c’est de l’air frais dans mes poumons, le vent du large…

Aujourd’hui c’est n’est plus un but ni une échappatoire c’est un souffle qui me pousse en avant. Pour progresser il faut bien que j’avance vers ce qui n’est pas encore moi.

Comme dans une gravure d’Esher je remplis mon intérieur en débordant.



Je suis le curseur un peu plus loin en direction de là où il y a quelqu’un. Je salis ma page me vide vomi et espère tomber dans vos bras. Vous êtes mon leurre.
Dire, écrire c’est mentir. Tout dialogue même en aparté avec soi même engendre le mensonge. La vie est un mensonge le mensonge de la mort. Il n’y a d’absolu que ce qui n’est pas, il n’y a de vrai que ce que notre réalité n’atteint pas ne salit pas. Le curseur avance donc je meure. Je m’approche de la vérité par petits et grands mensonges.



Des cornets plastiques et autres détritus de la ville se sont accrochés dans la bruyère sèche et dans les arbres dénudés de la montagne funéraire; entre végétation sauvage et sépultures je m’assieds sur l’herbe brûlée par le froid et m’abreuve du crépuscule sur la mer de Bohai.
Aux morts aux amours je rends hommage. Je flambe de l’argent funéraire verse le vin et prie le Dieu des vents qui disperse l’odeur de l’encens. Par le rituel ce jour est différent des autres mais quand ai-je cessé de penser à eux de vivre avec eux ?
La mort indolore incolore me passe à travers s’en va et revient, comme ces milliers de visages d’enfants que j’enseigne chaque semaine. Pour un instant ils sont tout puis ils s’évanouissent dans un goût de cendre. La mort ne me fait pas peur, ce n’est pas elle qui me pousse à croquer dans le cristal, qui me pousse à avaler les bris de verres qui taguent des soleils sur la paroi de mon estomac.

Ces pitbulls de mes fantaisies m’arrachent les tripes. J’épanouis mon ego en pétales de sang parce que plus violent plus rouge plus beau plus vivant.



Allongé sur la couchette supérieure je n’ai pas assez d’espace pour me redresser confortablement, cas de force majeur, je reste couché sur le dos la tête lovée dans mon bras gauche. Les vibrations du plafond lézardé les rides de ma main qui cherche une cigarette me rappellent une impression de mouvement dans l’espace-temps.

Le but du voyage, s’il y en a un, ne sera jamais atteint et il n’y a pas de retour possible. La vitesse n’a pas plus d’importance, arriver là ou ailleurs maintenant ou plus tard, l’océan gardera la couleur infinie du ciel et la grande montagne restera noire, toutes les tempêtes de neige n’en peuvent mais.
Mon voyage hymne au sang et à la chair sans repère a ouvert un espace d’hiver entre deux points immotivés ; les séquelles de ces vagabondages se superposent sur les clivages de mon miroir.
Derrière mes paupières lourdes les lézardes du plafond s’embrasent en cristaux sanguinolents sur des champs de neige glacée. Je m’endors en essayant de délier les réseaux dessinés par la dispersion de la lumière.

L’on m’attend où je vais ? La farce ! Il n’y a que les amoureux qui attendent, accaparés par l’amour ils ne savent rien faire d’autre. La femme qui garde le foyer est un mythe ennuyeux, c’est elle qui veut être gardée et regardée, sous un toit ou ailleurs, mais toujours sous conditions. Ma fille rêve de mon retour et quand j’arrive la vaisselle n’est pas faite ! Elle ne sera jamais au bout de la route, combien de fois encore se maquillera-t-elle pour célébrer mes retours de flammes ?


                                          
Les bourrasques de neige qui ont accompagné le convoi toute la nuit n’ont laissé qu’une fine couche de neige poudreuse sur le quai de la gare. L’air frais du petit matin me retient de vaciller et je me laisse emporter par le flot des voyageurs, nous traversons les sous-voies de la gare vers la sortie.
Il est encore trop tôt pour demander à un taxi de me conduire chez mes amis alors je déambule avec mes valises jusqu’à la table d’un petit marchand ambulant. Sur un réchaud à charbon que j’entoure de mes mains il me prépare une galette aux oeufs. Je mange en regardant l’étoile des marins sombrer dans l’azur.
Mon téléphone portable sonne. On m’appelle de la terre !



La rue faisait 15 mètres de large pour 300 mètres de long; dans le rétroviseur du taxi qui m’amenait à l’aéroport elle avait l’air d’un terrain vaguement goudronné.
A mon retour 8 mois plus tard elle déroule crânement un tapis d’asphalte luisant escorté par des lampadaires  Belle Epoque, elle fait l’avenue jusqu’au carrefour au-dessous de la rame du métro aérien.
Les maisons de moins de deux étages ont été rasées de nouveaux buildings se remplissent et une douzaine d’autres sont sur le point d’émerger de leur gaine de bambou.
Mon immeuble jaune délavé cadrait bien avec mes années septante, l’on me dit qu’il a été construit dans les années quatre-vingt dix.
Les façades sont maintenant rose saumon les toits qui étaient plats sont recouverts de fausses tuiles grenat des moulures en plâtre frais dégoulinent jusqu’au rez-de-chaussée jusqu’à la petite plaque métallique qui prévient que l’hygiène est du ressort de chacun.

Mon xiaoqu est composé de trois rangées d’immeubles de six étages. Tous les appartements ont un balcon donnant sur le Sud et les cuisines regardent toutes au Nord. Au pied des blocs de petits jardins avec des arbres des fleurs rouges quelques légumes des poules et des vieilles qui font des exercices de Tai Qi, leurs larges abdomens décrivent des gestes sûres et flasques.
Il y a des xiaoqu de tous les styles et de toutes les grandeurs, ils ont tous un mur d’enceinte une seule entrée et des gardiens plus ou moins canins ; chez moi la petite guérite abrite un commerce de location de DVD, c’est le premier d’une demi-douzaine de petits commerces qui longent l’allée principale. Devant  l’épicerie des vieux assis sur leurs petites chaises en bambou, passent la journée à détailler les allées et venues. Souvent ils m’abordent : «T’as mangé ou pas ? Viens t’asseoir il ne faut pas t’inquiéter t’en trouveras du travail ! »
A côté de nous une matrone vend des bols de nouilles quelques ouvriers mangent, le dos courbé, les yeux au bout des baguettes.
Un avion à réaction strie le ciel bleu la lessive flotte sur les cadres rouillés arrimés aux façades sud. Deux ou trois bicyclettes sillonnent les allées une voiture klaxonne, trois femmes d’âge différent veillent sur un petit garçon il se dandine vers sa mère qui revient du travail.

Je ne sors de mon xiaoqu que le soir pour aller chercher Lanlan à la sortie de son travail. Au début de la ligne du bus je m’affale sur l’un des trente sièges une rangée derrière le chauffeur et de l’autre côté des doubles sièges où je ne m’assois jamais.
Ecouteurs sur les oreilles une bière dans la main et le regard perdu de l’autre côté de la vitre, bien malin qui viendra me demander d’où je viens.

Sur l’avenue Huai hai des guirlandes clignotent entre les branches de platanes dénudés, c’est là que je descends. Le trafic est encombré, bruyant sur les trottoirs tout le monde à l’air pressé, c’est le meilleur moyen pour avancer. Bousculades devant des boutiques pour jeune et vieux, pour fortunés et classe moyenne, les vitrines étalent des labels globalisés et les commerces qui n’affichent pas d’affiliation occidentale ont des crieurs pour appâter le chaland. Quelques mendiants hargneux, Mac Donald, etc.
Dans l’avenue vaporisée de gaz Néon je marche en suivant les pavés au relief travaillé pour les non-voyants, mon train aveugle m’amène jusqu’au restaurant français où travaille Lanlan, ça tombe bien.
Son patron me fait boire jusqu’à ce qu’elle puisse enfin poser son tablier.

Sur le chemin du retour l’avenue s’est vidée, ne restent que quelques mendiants noctambules et les flaques noires que lèchent les enseignes lumineuses.
En attendant le bus je fume une cigarette devant une échoppe qui vend des saucisses et du lait parfumé de toutes les couleurs.
Lanlan me tend une saucisse rose traversée dans la longueur par une baguette en bois, un goût de chair sucré



Les bagages sont emballés l’appartement est vide ne reste que l’ordinateur et un petit bordel sur le bureau, je pars vers le vide, vide de joies et vide de peines.
Ce n’est plus l’inconnu c’est une saison celle qui remet à l’heure l’horloge des sensations de mon ventre.
Tiens-moi les pouces pour que j’y reste quelques années et que la fille ait les yeux ouverts assez profonds pour me laisser le temps de ne plus passer le temps sur son dos.
J’ai d’autres atouts dans le jeu de mes arcanes fuyants. J’ai envie d’assurer un boulot un texte un roman une vie peinarde une mort sociale.
Dis-moi qu’où je vais je serai assez bienvenu pour supporter ma solitude, que le soleil sera roi, que la pluie me bénira. Dis-moi que j’y serai toujours l’étranger qu’on repousse assez pour que je rentre chez moi m’apaiser sur mon travail, là-bas je veux travailler je veux coucher un testament je veux ne plus voyager, mort, comme un corps social.

40 ans et quelques dents, pour trouver de quoi encore jouer le beau pour trouver la clé de vos nuits de vos cabarets du rêve je ne peux plus compter sur mon agilité de passe murailles. J’ai le squelette bloqué dans mon miroir.
Mon besoin d’être aimé, ma quête, ne doit plus chercher votre témoignage d’adhésion. Mon envie de fusion est une colère d’amour qui m’efface à moi-même et soulage mon cœur le temps d’y croire. C’est pour ce désir que je me suis donné des allures de vagabond d’asocial et de dégénéré à la recherche de l’amour aveugle. Si la démarche est lumineuse, un projecteur sur les cœurs, le jeu n’en vaut plus la chandelle. Ma folie d’amour est déplacée et n’attire plus, quand elle y réussit encore, qu’un intérêt poli. Si je veux sortir du carcan de mes chemins de fer c’est le moment de me mettre à la tâche et ne plus chercher dans vos yeux la réponse à ma présence et à ma survie sur terre.



Mes compatriotes habitent une demeure traditionnelle, les huit pièces de leur  maison sans étage forment une enceinte protégeant la cour du vent, de la poussière, etc. Nous y buvons un café ensemble puis ils partent travailler.

Seul dans la cour, entouré d’une succession de pièces vides, ils m’ont laissé avec le soleil pâle de l’hiver. Cette ambiance d’accueil et d’absence en même temps, tracasse les images du voyage dans le vent la neige et le froid ces fidèles compagnons. A l’abri du vent les murs ont l’odeur de mes rêves de famille.
L’absence de mes amis me projette dans ma solitude et le silence de leur hospitalité fait fondre la glace au reflet figé, un zeste de chaleur à peine orangé dégivre une tristesse refoulée.

Une corde sensible vibre sur la gamme de mes larmes retenues, sentiment confus difficile né dans le creuset de ma relation avec l’autre ce miroir de ma solitude.
Sur le perron de la cour emmitouflé sous ce soleil froid presque lucide je traque cette émotion que j’éludais : sensation d’exclusion, petite sœur d’appartenance, tu existes pour que je me raffermisse.

J’imagine cette force qui me donnera le goût du travail comme une montée qui viendrait du bas des reins une lumière liquide, rouge-orange, qu’il faut aimer entretenir nourrire, une compagne indispensable. Pour elle je voyagerai en première classe je lui montrerai le Taj Mahal la Cité Interdite la peinture des grands Maîtres, j’éviterai les filles et les sentiments confus de l’alcool je favoriserai les exercices matinaux la méditation. Nourrire la force voilà enfin la Raison ! Se remplire et puis nourrire les autres (les mêmes !) en retour. L’eau tourne la roue du moulin qui mout le grain l’homme s’en nourrit et construit d’autres moulins.



L’intérieur du wagon ressemblait à une suite de petits salons d’exposition l’éclairage au Néon balayait les banquettes de velours bleu ne manquait qu’un bouquet de fleurs artificielles sur les tables.
Deux heures après l’intimité volée par les néons n’est plus qu’un souvenir étouffé par la masse des voyageurs pénombre humaine magma de chair résigné. Je discerne à peine la vitre noir satin de l’autre côté du couloir.
La tête de Xiaxia, endormie, est appuyée sur mon épaule à ma gauche, côté fenêtre, un homme habillé d’un costume élégant dort aussi il est affalé sur la petite tablette un journal sur la tête. En face de nous un couple de vieux paysans au visage creusé par la même charrue se tient droit ils ont les yeux grand ouverts immobiles. Au bout de leur banquette un jeune homme emmailloté dans un pull-over pistache tricoté main. De l’autre côté de l’allée, où se serrent les passagers sans ticket numéroté, son amie porte le même pull-over, elle dort aussi.
Derrière la fenêtre bordée d’une épaisse bande de glace la nuit traîne sur la plaine gelée.

Xiaxia ne bronche pas quand j’appuie sa tête sur le dossier j’ai besoin d’aller aux toilettes.
Dans l’allée je slalome entre les voyageurs debout tout en enjambant des corps enchevêtrés jusqu’à mes genoux. A la recherche de quelques centimètres carrés pour poser mes pieds j’oscille entre prévenance et rudesse.
Dans l’inter wagon, qui n’est pas chauffé, je continue ma progression en comprimant ma poitrine contre d’autres qui exhalent la même haleine givrée.

Seul ! En position accroupie les fesses à l’air je profite de mon intimité retrouvée, je m’évade dans mon corps au singulier.
Des coups contre la cloison de Formica me rappellent que je ne suis pas le seul à avoir besoin !
J’ouvre la porte mais face à un mur humain je dois d’abord laisser entrer quelqu’un pour sortir. Elle prend ma place et je prends la sienne.

Je parviens à me  faufiler jusqu’à la portière du wagon. Pour voir dehors, je pose ma paume contre la fenêtre recouverte de givre, mes 37 degrés éclipsent un instant l’opacité glacée. Tout ce que je parviens à distinguer ce sont des champs gelés et des plaques de neiges qui rosissent. Je fume une cigarette.
Dans mon dos une femme la tête enveloppée dans un mauvais tissu criard a les lèvres gercées la quarantaine brûlée par le froid. Il y a aussi cette jeune femme avec les cheveux de Blanche-neige et la peau lisse et rouge, comme une pomme, dans sa gabardine militaire à col en fausse fourrure elle reste immobile comme figée, son regard de sphinx n’est troublé que par la sonnerie de son téléphone portable.
Un homme dans la quarantaine habillé d’une autre sorte de complet veston que mon voisin de siège essaye d’entraîner ces voisins à se moquer de l’étranger qui devrait se payer un billet d’avion. Sous sa veste gris sale une chemise qui hurle avec une cravate qui jure achèvent son look nouveau pauvre.
Sourire d’un vieillard bien conservé à qui j’offre une cigarette j’esquive son regard lumineux, quoi se dire ?

La porte qui isole l’inter wagon est bloquée, derrière le plexiglas une femme se lève lentement pour me permettre d’entrer dans le compartiment. Elle maintient, emmitouflé dans une épaisse couverture rouge, son bébé serré dans ses bras.
Quand j’atteins mon siège mon élégant voisin se lève c’est à son tour d’aller aux toilettes puis c’est le vieux couple, la femme d’abord le mari attend son retour.
Xiaxia se réveille au passage du chariot de riz. Elle se rendort après le petit déjeuner. Le jeune homme au pull-over vert n’a pas encore ouvert les yeux, il a maintenant la tête appuyée sur l’épaule de la paysanne. Son mari se tortille pour sortir deux soupes instantanées du sac suspendu au-dessus de sa tête. A l’intérieur de l’emballage en forme de bol il y a des nouilles et trois petits sachets contenants des épices, des légumes séchés et un jus de viande ne manque que l’eau chaude.
Après un dialogue stérile entre le vieux et ses boîtes de soupe, l’homme au complet lui montre la petite encoche qui permet d’ouvrir les sachets plus facilement. Il fait ensuite passer de passager en passager les bols de nouilles sèches qui reviennent pleins du précieux liquide.


Le soleil s’étire maintenant sur des champs sans neige le train file vers le Sud et la glace du bord de fenêtre commence à fondre. Mon voisin éponge avec du papier de toilette l’eau qui coule sur la table où j’écris. L’eau qui coule par terre se transforme en flaques noires où roulent mes bouteilles de bière vides.
Le rouleau de papier de toilette serait vite épuisé si la paysanne n’avait d’un geste sûr détaché et jeté par terre ce qui restait de glace autour de la vitre. Son mouvement a réveillé le jeune homme au pull pistache. Il referme rapidement les yeux geint un peu et se rendort.
Le vieil homme se contorsionne à nouveau et sort du sac un jeu de cartes neuf. Après avoir à peine brassé les cartes il commence avec sa femme un jeu proche du poker. J’assiste à un déferlement de carrés par ordre croissant, du carré de deux au carré d’as. Pas plus surpris que ça le vieux redistribue les cartes et les carrés apparaissent cette fois-ci dans le désordre. Trouvant sans doute le jeu ennuyeux ils abandonnent après la deuxième partie. Un peu déçu de voir une image de l’ignorance que les Chinois des villes prêtent aux villageois je ne peux cependant m’empêcher de sourire.
Avant de descendre du train ils préviendront Xiaxia de se méfier de moi de mon air intelligent !

L’homme élégant s’est trouvé une place dans un compartiment couchette. Je suis maintenant appuyé contre la fenêtre, deux pull-overs pistache en face de moi. La conversation est inévitable. Il est cadre dans une fabrique d’habits où elle est ouvrière. Leurs tricots sont en fait tricotés à la machine et ils s’en sont fiers. La conversation ou plutôt ce que j’en comprends m’ennuie.
Je profite de l’arrivée d’une vendeuse de porte-clés à usages multiples : coupe-ongles décapsuleur etc. pour me remettre à écrire au milieu d’un concert de « clic, clic. »
Après s’être coupé les ongles le père de famille de l’autre côté de l’allée se cure les oreilles avec la micro cuillère incorporée. Quand il a fini le jeune cadre lui emprunte l’outil il nettoie le reste de cire de son voisin a l’aide d’un angle de son livre « Comment faire des jumeaux » puis il se cure consciencieusement les oreilles, son amie trouve à redire et finit le travail a la main.

J’emprunte l’outil pour décapsuler un demi-litre de bière. Un ange passe avec la grâce d’une gamine de 100 kilos faisant un grand écart.

Xiaxia discute depuis plus d’une heure avec nos voisins en vert. Je lève quelques fois les yeux de ma page pour esquisser un sourire poli. Il est 5 heures et demie de l’après-midi encore douze heures à tirer.
La fin du voyage comme une possibilité à envisager me rend plus communicatif, je propose de jouer aux cartes. Le jeu me permet d’être plus sociable tout en évitant que la conversation au sujet de mon pays mon âge mon salaire mes frères et sœurs ma religion etc. ne prenne un tour sérieux pour tout de même s’embourber où elle avait commencé c'est-à-dire entre méfiance et incompréhension.
Xiaxia me pousse du coude pour que je regarde par la fenêtre. Le soleil irise d’or une brume d’argent le paysage ressemble à ces aquarelles de rochers pommelés. Je demande où nous sommes ? « En Chine » me répond le jeune cadre avec une fierté teinté d’arrogance qui dissimule mal son ignorance sur la géographie des lieux.

Le soleil disparaît derrière les collines qui défilent puis réapparaît toujours plus rouge plus gros. Je n’arrive pas à me concentrer sur les cartes j’abandonne le jeu pour regarder dehors.

Juste avant que la nuit tombe un panneau publicitaire géant me renseigne : le train traverse la région du mont Tai Shan où, il était une fois, l’Empereur terrestre rencontrait celui du Ciel.

Le compartiment est à nouveau éclairé par les néons, je ferme les yeux.

Culotte bas en laine sous le pantalon, moufles et bonnet je descends les escaliers mon vélo est au bas de l’immeuble. Il est encore là. Les voisins me disent qu’il va disparaître je réponds que personne ne voudrait d’une telle épave.

Je retire mes moufles pour le décadenasser, renfile mes moufles et enfourche ma bécane de marque "immortel ", de fait elle doit déjà avoir 20 ans. Je l’ai achetée dans la rue à un bricoleur qui s’installe tous les jours sur le trottoir près de chez moi.
C’est un vélo lourd, haut et long. Couleur noir rouillé. Il faut quelques mètres de zigzags pour trouver le bon équilibre, le verglas de ce jour d’hiver n’arrange rien.  Ensuite, lorsque aucun obstacle ne s’interpose vient l’impression de pouvoir rouler filer 10000 lieux sans sourciller.
Quelques voisins me font signe, me demandent si je vais travailler ?
– Non, je vais faire des courses. 
Jour de congé. Flâner et ramener de quoi préparer le repas de midi. Des légumes et du poisson.
Un mot à la gardienne en uniforme du xiaoqu et me voilà sur la piste cyclable. Odeur d’hiver les pneus qui crissent sur la neige, devant moi un rickshaw trace trois lignes des sillons où un peu d’eau commence à ruisseler le soleil est aussi de la partie de ce matin d’hiver, il est déjà neuf heures et demi.
La piste cyclable est protégée de l’avenue par une barrière de plus d’un mètre de haut. Peu de voitures et des petits immeubles bien carrés des deux côtés de la route. Je n’habite portant pas loin du centre ville c’est un kilomètre plus au sud vers le supermarché où je me rends. La circulation est y souvent dense. Ce petit centre-ville est comme la petite embouchure d’un vaste entonnoir où quelques kilomètres carrés citadins se hérissent au milieu d’un cercle champêtre de plus de 50 kilomètres de rayon.

Le petit klaxon du rickshaw trompette devant lui de longues tiges d’acier sur une charrette poussée à la main j’essaie de doubler mais une vespa vient en sens inverse. Pas de sport aujourd’hui, roue libre, et puis j’ai trouvé un magasin qui vend ma marque de cigarettes. Je descends du vélo que je pousse sur le trottoir vers le petit kiosque le vendeur me demande si j’ai mangé je lui demande si les affaires vont bien lui offre une cigarette. Sont-elles des contre-façons ? Il veut savoir combien je gagne par mois d’où je suis, je réponds à peu près et m’en vais.
Je remonte sur l’ « immortel » et vais descendre du trottoir mais je dois d’abord laisser passer une belle grosse voiture noir luisant qui s’ébroue devant moi en direction de la piste cyclable.

Une belle et grosse voiture a la priorité sur une petite voiture qui a la priorité sur les cyclistes et les camions sauf quand ils viennent à grande vitesse. Les deux roues ont la priorité sur les piétons. Cet ordre des préséances est cependant réversible suivant la fortune la position sociale du cycliste ou du piéton, il faut être prudent sur tous les fronts. Droite ou gauche importe peu c’est la priorité à formes variables.
Avec force de coups de klaxons la voiture noire balaie la piste cyclable les cyclistes posent pied à terre le pousseur de charrette presse le pas pour laisser la limousine rejoindre la route. Je ne vois plus le rickshaw il a du trouver un moyen pour dépasser la charrette peut-être un sprint sur l’avenue.
Le chauffeur de la voiture, sans doute un homme d’affaire, rejoint la route et continue de klaxonner.

Les longues tiges métalliques, plus de 5 mètres, ondulent à chaque pas de leur transporteur. Elles serviront peut-être au béton armé de l’appartement ou vivra le petiot assis sur le porte bagage de sa maman, nous nous croisons. Elle est belle, jeune. Son coup de pédale est énergique et prudent à la fois. 
La chaussée n’est plus aussi glissante qu’au premier jour quand toute la ville était blanche, des collectifs de citoyens se sont formés pour casser les plaques de glace.
Les tiges de fer chaloupent, elles sont posées sur la charrette sans être attachées leur poids suffit à leur assise. L’homme pousse en tenant les deux manches espacés d’un mètre dos courbé bras écartés, sous le bleu de travail élimé il porte des vêtements de corps en coton synthétique et de haut en bas : deux culottes bas et trois pulls en mauvaise laine tous tricotés par sa femme. Ce n’est pas un homme perdu ni un hors caste il a une maison un ou deux enfant et, s’il vient de la campagne, il retrouvera sa femme pour la fête du printemps toute proche. C’est ce que son dos me dit.
Sur les côtés les boutiques de plus en plus nombreuses finissent par ne plus s’interrompre. J’envisage une tentative de dépassement de la charrette mais des rires derrière mon dos me retiennent je me fais doubler par deux jeunes échevelés qui discutent gaiement sur le même vélo.
Jour de congé, je n’ai qu’à pédaler tranquillement et puis le supermarché n’est plus qu’à une centaine de mètres.
Nous arrivons au carrefour du centre ville, en fait un rond point, pas de feux rouges, pas de policiers, pas de passages cloutés juste une ouverture dans la barrière qui sépare la piste cyclable de la route et qui de toute évidence montre l’endroit où l’on peut traverser je ne sais pas comment s’y  prendra l’homme à la charrette. Un rapide coup d’œil, un slalom rapide entre les voitures me permettent de me retrouver de l’autre côté avant même qu’il n’ait réussi à freiner sa charrette.

Devant le supermarché il y a le rickshaw de tout à l’heure le chauffeur discute avec ses collègues au milieu d’un troupeau de ces véhicules faméliques. Ils me regardent et ricanent. Je pose pied à terre un peu plus loin devant la porte du supermarché. Fermé ! Je trouve un employé qui me dit que pour je ne sais quelle raison ce matin c’est fermé.
Il me reste le marché et ses prix élastiques. Les légumes et autres viandes y sont généralement moins chers et de meilleure qualité mais que de palabres pour une laitue ! Avec mon statut de peau de riche je pars rarement gagnant dans les marchandages. J’y vais quand je suis de bonne humeur ou quand je n’ai pas le choix puisque l’on m’a envoyé faire les courses. Si j’étais seul je me contenterai d’un bol de nouille dans un petit restaurant. Enfin allons-y cap vers l’ouest ensuite je pourrai rentrer chez moi par un autre chemin. J’aime ne pas devoir faire le même chemin en sens inverse.
J’entends les « hellos » rieurs des chauffeurs de rickshaws dans mon dos j’essaie de ne pas y prêter attention. Je dois retraverser la route. Je ne sais pas pourquoi, justement à cet endroit il n’y a pas de policiers. Peut-être parce qu’il n’y a pas de feux rouges ? A bien y réfléchire c’est sans doute pour ne pas entraver la fluidité du trafic. Ils sont présents à tous les carrefours du centre, sauf au plus important.

Je ne sais pas quels critères ils ont pour arrêter un véhicule. Je les vois toujours occupés à essayer de dresser des PVs et l’automobiliste est toujours en train d’appeler quelqu’un sur son portable. Si la police avait des actions dans les télécoms elle pourrait refaire une partie de l’argent des PVs qui sautent grâce à un coup de fil.
Je n’ai pas de conseils à leur donner. Je freine. Un bus s’est arrêté devant moi et les passagers encombrent la piste cyclable une jeune fille en profite pour glisser une publicité dans le panier accroché à l’avant de mon vélo. Du papier glacé, certainement une publicité pour acheter un appartement dans l’un de ces nombreux nouveaux immeubles. Les passagers du bus se sont dispersés, en laissant quelques « hellos » dans l’air frais. Je reprends un coup de pédale aisé la fille du prospectus était jolie.

Cette artère est fréquentée pas de neige sur la chaussée, sur le trottoir des petits vendeurs proposent des livres des lunettes de soleil et des ceintures j’arrive à hauteur d’un marché ce n’est pas celui de mon quartier et je n’ai aucune chance d’en ramener quoique ce soit de valable. J’y jette un œil, pas long un ballon roule devant ma roue un gamin  courre derrière mon vélo le cycliste qui vient en face fait grincer des freins rouillés.

Au prochain carrefour je prends la rue qui remonte vers le nord. Quelques agents de police et une camionnette ils y entassent des vespas sans plaques d’immatriculation celles qui polluent trop. Effort national pour enrayer la pollution améliorer le trafic, les ordres viennent de la capitale et ce n’est pas la peine d’essayer de téléphoner pour obtenir un passe droit. Mei banfa ! Y’a rien à faire, c’est comme ça.
Cette rue est plus étroite le goudron est de nouveau recouvert de plaques blanches il y a des nids de poule.
Sur les côtés, des petits ateliers de serrurerie. A même le trottoir des ouvriers assemblent et soudent des barres de métal, le principal de leur production ce sont des barreaux assemblés avec plus ou moins de goût que l’on pose devant les fenêtres pour se prémunir des voleurs. J’en conçois l’utilité pour les étages du bas mais ces barreaux envahissent les fenêtres jusqu’aux derniers étages. Un signe extérieur de confort une manière de mieux renfermer l’intimité familiale ? Eux ils soudent et si la commande est bonne ils ne s’arrêtent qu’après dix heures du soir. Entre ces ateliers il y a des salons de coiffure pour hommes fatigués, derrière des portes de verre fumé des jeunes filles venues de la campagne proposent des soins capillaires un chouette shampoing avec un massage du crâne et des omoplates. Elles vous remettent un homme à neuf. J’essaie d’en apercevoir quelques-unes unes mais elles sont toutes à l’intérieur serrées autour d’un poêle.
Qu’est-ce que je devais acheter déjà ?
Quelqu’un m’interpelle c’est un son différent des « hellos » dans mon dos. Je m’arrête retourne la tête. Oh c’est lui. Je lui explique que je ne peux accepter son invitation pour le déjeuner je suis en route pour faire les courses j’ai du monde à la maison alors ce sera pour une autre fois.







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