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appart en Chine
16 octobre 2006

coquilles

busSeptembre tempère mon réveil : les nuits sont plus douces, les matins plus frais. Le chat miaule sur le parquet qui craque. Sous les caresses franches du vent marin, l’immeuble frémit.
La cafetière roucoule et la pâtée au poisson de minou est prête, Huanghuang dort encore. Le soleil n’a pas encore terminé l’ascension de la grande montagne noire. Je ferme une fenêtre pour éviter les courants d’air et m’assieds sur le divan pour boire mon café et fumer.

Mes cigarettes, cendres de nuit, écrasées dans le cendrier, je vérifie mon cartable : les livres et les préparations de cours sont à leur place ; je tâte les poches de ma chemise pour y sentir les cigarettes et le briquet, dans les poches de mon pantalon : l’argent et les clés de l’appartement.
J’ai encore le temps de choisir trois mini disques. Je vérifie la batterie de l’appareil en buvant une dernière goutte de café déjà froid.
Le vent me claque la porte au dos.
Dehors le jour se dégrise et je me réveille aux contingences : une autre journée, un autre trajet. A la station de bus, je me fraie un chemin entre les voyageurs, les balayeurs, les vendeurs à la sauvette et les rabatteurs qui me proposent des tickets pour les quatre points cardinaux. Une petite femme de quarante ans, la blouse aussi rouge que le visage, me tire par la manche : elle me montre un bus sans même savoir où je vais ; ses collègues éclatent de rire quand je me dégage d’un mouvement brusque.
Comme un chien dans un jeu de quilles, l’amertume me rend hargneux mais je ravale ma collection de jurons français, chinois et anglais : il n’y a que la ruse et la patience qui permette de s’échapper. Je continue d’avancer avec un sourire résigné sur les lèvres. Derrière mon dos, la femme en rouge harcèle d’autres personnes.
J’avance tête baissée en feignant d’ignorer les œufs, le coca, les journaux, les villes et les villages que l’on me propose.
Mes quelques notions de chinois me permettent de repérer la file des bus en partance pour la Grande Montagne Solitaire.

Devant les bus il y a une autre catégorie de rabatteurs, plus indolents, ils font partie de l’équipage et c’est sur la route qu’ils retrouvent leur énergie. Ils sont tous d’accord pour dire que c’est leur bus qui arrivera le premier, affirmation que le chauffeur soulignent d’un coup de gaz, au point mort.
 
Pour couper court aux questions éventuelles des trois autres passagers, je m’écoute un peu de musique, écouteurs sur les oreilles. Ils me regardent avec la curiosité d’étudiants disciplinés s’apprêtant à disséquer une grenouille.
Le plafond du bus est plaqué de PVC fleuri. Depuis mon siège défoncé, je ne parviens pas à distinguer si l’amulette qui pendouille au milieu du pare-brise est l’image d’un Dieu, le profile de Mao ou alors un voilier doré qu’accompagnent quelques mots de bonne augure.
Le chauffeur avachi sur le volant donne encore un coup d’accélérateur, le départ est imminent : peut-être dans cinq minutes. Son second, cheveux hérisson et survêtement Nike, tourne toujours autour du bus à l’affût de nouveaux clients. Je regarde, sans compassion, le harcèlement que subissent les passagers potentiels.

Cliquetis métallique de la première vitesse, moteur débrayé. Les vibrations du moteur traversent tout, des pneus au toit en passant par les passagers. Le jeune homme à la coupe hérisson saute dans le bus en marche. Il est debout dans l’embrasure de la portière et continue d’interpeller tout être susceptible de se déplacer en transport commun. Il n’a qu’un mot à la bouche : Dagushan ! Dagushan ! (La Grande Montagne Solitaire.)

Nos futurs compagnons de voyage sont disséminés le long de la route. Le second sert de vigie au chauffeur qui roule le plus vite possible entre deux cris d’alerte de son assistant. A peine le client a-t-il posé le pied sur le marchepied que le bus repart. Départs en trombe et freinages d’urgence font oublier que la vitesse moyenne sur le trajet est d’à peine trente kilomètres par heure !

Quand nous longeons les maisons basses qui se perdent dans les roseaux du bord de mer, le soleil est encore fripé de brume matinale. De l’autre côté de la route le chapelet de bâtiments industriels tire sur sa fin, le dernier, une gigantesque raffinerie de pétrole, est séparé de l’école où je me rends par la Grande Montagne Solitaire.
Le bus gravit sans effort cette petite colline qui domine un vallon ouvert sur la mer.
L’odeur d’hydrocarbure cède à celle, intense et douceâtre, des coquillages que des femmes et quelques enfants écarquillent à longueur de journée.
Sur des gravats de coquilles brisées, deux rangées de travailleurs se font face, posés sur de minuscules tabourets, ces corps courbés dont on aperçoit à peine l’anorak, sont séparés par une paire de bottes dépareillée. Grises engelures au bout des doigts. Quelques ampoules suspendues au-dessus des têtes témoignent de la longueur des journées.

Quand je passe devant ces petites usines, les femmes ne me regardent pas et si elles me voient, leur cerveau engourdi ne lance pas le traditionnel « hello ! » que j’entends partout où je vais !

Les crustacés de la mer Jaune répondent à mes clins d’œil par des sourires à demi-entendu. Ma lassitude assume son impuissance, j’en ramasse les débris irisés.

J’ai longtemps attendu de voir la barque du pêcheur rentrer au port. Aujourd’hui j’en entends le bruit du moteur, mais l’image est déjà depuis longtemps sacrifiée.
L’automne est derrière moi, le vent d’hiver me donne déjà des frissons.
Comme se penchent les rochers que la marée n’atteint pas, le pêcheur pose pied à terre.
Sa femme l’attend. Le bateau et les cordages.

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